Lettre mensuelle n° 6 (octobre 2024)

Ah nos Cévennes !!

On a beaucoup vanté la Normandie et ses immenses étendues de neige vierge, la Bretagne et ses artichauts, les énormes pruneaux d’Agenais ou encore les foules de touristes niçois chers aux gérontologues, mais quand même nos Cévennes c’est quelque chose. Nous y avons vécu le VSD 2024 les 20, 21, et 22 septembre et apprécié l’eau cristalline qui matraquait le toit des bungalows avec un bruit de Boeing. C’est elle, la coquine, qui s’amuse chaque automne à composer des épisodes cévenols qui inondent et ravagent villages et vallées. Nous y avons pété un tibia (voir ci-dessous) et vécu un épisode sado-maso empêtré dans de solides liens de ronces. Non, je déconne ! C’était super ! De petites routes entre « serres et valats* », de végétations diverses et apaisantes, traversé de petits villages au sein desquels se hume encore des odeurs de poudre, remontantes de la guerre des « Camisards** ». Tout le monde s’est régalé… sauf Chantal et moi qui avons fini le séjour à l’hosto d’Alès.

* de collines et de vallées, expression occitane pour désigner la Cévene

** Guerre des Camisards, révolte armée qui opposa de 1702 à 1704 les protestants des Cévennes aux Catholiques. Camisards, parce que ces derniers revêtaient leur chemise par-dessus les autres vêtements afin de se reconnaître.

Niveau CE2 à 70 ans

C’est tard pour ce type d’études non ? Et pourtant, la « bourdjourinade *» commise lors du VSD de Lasalle démontre que l’âge n’a rien à voir avec le contenu de la citrouille et que même des êtres soi-disant mûrs, voire blets, semblent encore en culotte courte. Il est vrai que le cuissard de cyclo en est une… de culotte courte.

Vu que j’étais moi-même impliqué dans ce coup de génie, je peux me permettre de le raconter et de prendre à témoins ceux qui, même plus jeunes, conservent un niveau intellectuel supérieur, ceux qui ne se seraient jamais aventurés dans une telle galère.

Bref, À la sortie du camping où nous résidions, nous attendions les retardataires pas encore descendus de leurs bungalows. Le choix s’offrait à nous : couvrir à pied les mille deux cents mètres qui nous séparaient du restaurant où nous devions nous sustenter, ou prendre les voitures. Avant même que nous fussions tous là, l’un des plus vaillants interpella l’auditoire : « oui ! Prendre la voiture pour aller là… vous n’avez pas honte ? On est des cyclos ou pas ? » Piqués au vif, six ou sept d’entre nous optèrent, sagement, pour la marche à pied. Mais cinq parmi eux n’avaient visiblement pas leur comptant de gamineries journalières. Ainsi, pour éviter de couvrir deux cents mètres vers la gauche avant de revenir à droite de l’autre côté d’un champ, l’un des cinq émis une « idée » lumineuse. « Y’a qu’à couper à travers ! » qu’il lança à la cantonade. J’avoue que ma feignantise naturelle me poussait dans ce sens. Aussitôt dit aussitôt fait ! Et nous voilà tous les cinq en haut d’un muret au pied duquel s’étendait ledit champ, grassement couvert d’une belle herbe à vaches. Les vaches n’étaient point-là. Il faut dire que nous étions vendredi, qu’il était près de 19 h 30 et que probablement les belles étaient sorties en boîte, histoire de s’en aller draguer quelque beau taureau.

Fred, le premier franchit l’obstacle. Sa jeune quarantaine lui offrant encore la possibilité de snober les quatre vieux croûtons qui, avec lui, formaient le groupe. Dédé ensuite offrit dans l’effort un spectacle tout à fait correct. Vint ensuite le tour de Marylène… pas mal sans plus… et enfin celui de Chantal, ma compagne, puisque je supervisais l’affaire d’en haut. Chantal posa donc un pied sur la première pierre, un second sur la deuxième, puis tenta le saut de l’ange dans les bras qui devaient la réceptionner. Et là… soudain… un cri dans la nuit : « ah mon genou !! » Trop haut, trop loin, trop je ne sais pas quoi, mais ma Chantal par terre avec le genou en vrac.

* bêtise monstrueuse qui relève de l’absence de réflexion

À partir de là : commentaires divers sur le type de blessure, tentative de remettre la blessée sur pied, et, au final, appel des pompiers. Fini pour Chantal et moi-même le week-end avec les copains ! Direction l’hosto d’Alès. En lieu et place de la belle et festive soirée restau, une attente de quatre heures en salle d’attente des urgences pour moi et une triple fracture du plateau tibial pour Chantal.

Voilà ! Nous en sommes là à l’heure où j’écris. Il n’y a pas mort d’homme… pardon, de femme… Mais pour le moins le projet fut changé. Quand on vous dit que les voies du Seigneur sont impénétrables. Surtout quand elles sont titillées par les idées à la c.. de vieux barbeaux qui se prennent pour des jeunes.

*  bourdjourinade :

Y’aurait-il sabotage ?

Il n’est pas content de sa monte de nouveaux pneus le Pierrot de Souillac. À peine 200 bornes et ses nouvelles enveloppes s’ouvrent en plein milieu tels une baguette dans le four d’un boulanger. Et comme le copain a tendance à se faire du souci : il s’interroge. Sur la qualité du travail chez Hutchinson, sur leur volonté à satisfaire la Confrérie, sur le vice qu’il pourrait y avoir à tenter par des voies détournées de se débarrasser d’elle ? Toujours est-il que le copain menace de passer à la concurrence. Compréhensible, non ? Nul doute que l’enquête va être menée, mais le plus probable demeure que certaines pièces de la série connaissent un petit défaut de fabrication. Pas acceptable certes. Mais les choses peuvent sans doute être corrigées « sans violence et sans armes » comme l’avait écrit Spagiarri sur les murs de la Société Générale de Nice avant le casse du siècle.

Où en est le cyclo-tourisme ?

C’est avec Fredo, l’homme à la selle, que nous avons réfléchi à cette question ultime : en 2024, où en est et qu’est-ce que le cyclo-tourisme. Sujet épineux camarades ! Avec Jeanine, nous abordons également souvent le sujet. Mais nous, avec une expérience remontant aux années dorées sommes-nous objectifs. Le Fredo, homme mûr et encore jeune qui, de plus, de par son boulot fréquente les jeunes cyclistes dans la force de l’âge, a une vision plus actuelle. Plus actuelle, mais pas plus optimiste. Car ça première remarque touche à l’importante cassure qu’il constate entre « notre » cyclo-tourisme de découvertes, de rencontres, d’amitié et, quand même, de qualité physique, et la pratique des moins de 45 ans d’aujourd’hui. Selon Frédéric, et les remarques qu’il est possible de faire sur le terrain, les « graveleux » (pratiquants du gravel puisque de nos jours personne ne souhaite plus rouler sur une randonneuse) cherchent surtout la performance, même si l’on retrouve chez eux certaines valeurs remontantes d’une époque cyclo-touristique révolue. Quoi que l’on puisse en penser, la randonnée longue et sportive à en grande majorité remplacée le voyage itinérant et tranquille et le gravel sans garde-boue et porte-bagages, la randonneuse à la française. Et même si se voient encore quelques grosses sacoches amarrées bêtement à l’arrière sur une machine qui par essence doit être chargée à l’avant, ce sont les sacquettes* accrochées n’importe où et de minuscule contenance qui sont chargées de transporter le minimum d’effets personnels. Pour Fredo, c’est le manque de transmission orale, avec à noter une carence flagrante de la FFCT, qui manque à la jeune génération. « Auparavant, déclare le copain, les vieux cyclos roulaient avec des jeunes et transmettaient les bases de la pratique au fil de la route. Par manque d’intérêt d’une fédé qui tourne clairement à l’agence de voyage et au racolage sur la voie publique (FFV), les jeunes se passent volontiers de ses services et ne fréquentent plus de ce fait les anciens. » Le Guitou de Castelnaudary, lui, pousse encore plus loin le raisonnement en affirmant que : «c’est vrai qu’il y a eu une cassure, mais elle est observable dans tous les domaines. Nous sommes aujourd’hui dans une société de services, doublée d’un individualisme forcené. Le public ne se réfère plus à l’expérience de la génération passée mais à la mode du moment matraquée à grands coups de marketing. La « vérité » ne se découvre plus à la fréquentation des pratiquants mais sur les écrans d’internet et dans les locaux de magasins bling-bling. » Dès lors la question est posée, à chacun d’y répondre : est-ce la nouvelle forme du cyclo-tourisme, où ce dernier est-il vraiment mort avec l’avènement d’une nouvelle activité ?

* petits sacs. Mais avec la pointe de causticité propre à l’Occitan qui plaisante sur l’utilité d’un ustensile d’une aussi petite contenance.

P. J.