À la rencontre de Michel Guionnet 1996

Artisan-Constructeur

Quinze ans déjà depuis que mon activité pro­fessionnelle et mon attirance vers d’autres ac­tivités plus ou moins sportives m’avaient éloigné de la pratique du vélo. Aujourd’hui, libéré des contraintes du quotidien, émerveillé par la majes­tueuse beauté des Pyrénées où je réside désor­mais, le cyclotourisme m’apparaît à nouveau comme la plus agréable et la plus enrichissante façon de parcourir les immenses plaines de temps libre qui s’étalent devant moi. Mais si à mon sens le cyclotourisme se décline en 650, vouloir se faire construire une machine de ce type entraîne aujourd’hui au tréfonds de la marginalité cycliste chez la quasi totalité des vélocistes de l’Hexagone.

C’est après un parcours du combattant de plu­sieurs semaines entre Tarbes et Montpellier, au cours d’une visite au Salon du cycle et de la moto de Toulouse que je rencontrais pour la pre­mière fois Michel Guionnet et la magnifique ran­donneuse, en 700C toutefois, qui trônait sur son stand. Premier contact chaleureux avec un homme dont l’enthousiasme fait plaisir à voir : «Une randonneuse en 650, en Reynolds 531 ? Pas de problème !!!» 

Première visite au magasin à Montauban pour la mise au point des questions techniques et ma commande fut passée. Curieux de nature, je me permis de lui demander d’assis­ter à la naissance de ma future Compagne de Route et c’est avec joie qu’il accepta de m’ac­cueillir dans son « antre » pour assister à la méta­morphose d’un sac de bouts de tubes en une rutilante bicyclette.

Michel Guionnet est artisan-constructeur et tou­tes les étapes de la fabrication sont réalisées par la «maison». Le cadre d’abord avec la marque et le type de tubes de notre choix et pour toutes utilisations (cyclo, route, piste…). Un soin tout particulier est apporté à la prise de mesures. Le gabarit réglable fait évidemment la loi dans ce domaine mais son verdict est enrichi (outre par la théorie standard de la position sur le vélo) par le type d’utilisation souhaité pour la future machine en fonction de laquelle Michel Guionnet ajoute ses critères particuliers, fruit d’une grande expé­rience des plus rassurantes pour le client, et bien sûr en tenant compte en dernier ressort de l’avis de ce dernier quant à sa position au guidon. Le tout pratiqué avec beaucoup de soin et de mé­thode. Lors de la construction, moment le plus émouvant pour le profane, les mains expertes font naître sous mes yeux le trapèze familier du cadre de vélo. Naissance d’une petite Reine avec qui j’espère partager quelques milliers de kilomètres, en une harmonieuse vie de couple.

Tube de selle, tube oblique et horizontal sont d’abord présentés sur un premier gabarit et coupé grosso modo avant d’être ajustés minutieusement sur un second gabarit. Après avoir été contrôlés et mesurés précisément, ils seront pointés à l’abra- seur pour être maintenus en position lors d’un premier passage au marbre – cinq passages au marbre seront nécessaires en cours de fabrication pour s’assurer de la parfaite géométrie du cadre. Viennent ensuite le montage des bases et des haubans avant que ne soit entrepris le brasage de toutes les pièces nécessaires à la pose des diffé­ rents accessoires. Les brasures seront ensuite li­mées, polies jusqu’à ne laisser apparaître aucune bosse disgracieuse et rendre parfaite la continuité et la liaison des tubes. Coup de patte de spécia­liste également pour les fourreaux de fourche qui seront cintrées selon un angle lui aussi imposé par la future utilisation de la bicyclette. De plus, en vrai passionné, Michel Guionnet n’hésite pas à me dévoiler les «petits trucs» de sa fabrication qui me font découvrir, s’il en était encore besoin, la magnifique qualité de son travail. Le cadre ter­miné sera sablé et transféré à l’atelier de peinture où officie Alain Lasgues, le peintre maison. Sym­pathique et professionnel, c’est avec le sourire qu’il me fait apprécier la qualité d’un émail, la profondeur d’une peinture transparente, la brillance d’un métallisé ou l’éclat d’un vernis. Point intéressant pour les «cyclos-écolos», Alain Lasgues utilise une cellule de peinture à rideau d’eau qui permet grâce à un compliqué système d’écoulement d’eau et de bacs de récupération d’éviter la dispersion de particules de peinture dans l’atmosphère et de capter celles-ci dans un bac chimique qui les fixe en sorte de peaux qui une fois séchées seront jetées comme de vulgaires feuilles de papier.

Qualité du matériel utilisé cer­tes mais surtout qualité du travail. Choix difficile que celui de la couleur, car si une randonneuse se doit de demeurer d’un classicisme de bon aloi, l’on hésite à faire oeuvre novatrice en «cra­quant» pour un des superbes décors originaux exposés par l’artiste. Peinture en dégradé, décor géométrique, à feuillage, à volutes, marbrées, opaques, ou tout type de travail spécial à la de­mande du client. Non dépourvu d’humour égale­ment, Alain et Michel, puisque l’on découvre, dans un coin de l’atelier de peinture, une fourche dont les fourreaux ont été revêtus de… bas ré­silles à couture, clin d’oeil érotique et exercice de style.

A noter également la fabrication par les Cycles Guionnet de porte-bagages avant et arrière de présentation parfaite, d’une solidité à toute épreuve et d’un poids tout à fait acceptable. De plus, les surbaissés avant et arrière rapidement dé­montables grâce à deux petits boulons permettent de ne pas s’en encombrer lors de sorties à la jour­née par exemple.

Michel Guionnet travaille pour toutes les for­mes de l’activité cycliste, du coureur profession­nel Didier Rous par exemple, originaire de Montauban, au promeneur du dimanche matin, il reste à l’écoute d’une clientèle parfois exigeante et toujours avec la même bonne humeur. Jamais avare de conseils, sa volonté de satisfaire le client m’est apparue plus forte que son obligation éco­nomique à lui faire ouvrir son porte-monnaie, et sa ferme volonté de demeurer artisan, et ne pas dépasser ses propres capacités de production (120 à 130 cadres par an), témoigne de sa préférence à privilégier la qualité par rapport à la quantité.

A l’heure où la production en 650 a besoin de défenseurs, il faudra (même si l’on roule sur 700) ajouter à la courte liste d’artisans déjà connu des cyclos le nom des Cycles Guionnet.

Bref et pour conclure, me voilà heureux pro­priétaire d’une randonneuse telle que je la souhai­tais (presqu’au boulon près), pour un prix très concurrentiel, dans un délai tout à fait raisonna­ble, et construite avec le même type d’énergie qui la fera rouler : la Passion.

Cycles Michel GUIONNET – 51, Bd Alsace Lorraine – 82000 MONTAUBAN

Article de Patrick Jean (adhérent n° 414), paru dans le numéro 4 de la revue Le Six Cent Cinquante.