lettre mensuelle n° 4 (juillet 2024)
Ah ces amerlos !!
…Sont bizarres, hein ? Pas tous totalement finis ! Certains même sont spécialisés dans le spectacle comique. Les clowns américains sont les meilleurs du monde. Voyez les frères Marx, génies parmi les génies, mais ce sont plutôt les nez rouges de la politique auxquels je pensais. Car là, nous touchons au sublime.
Mais trêve d’allusions au monde du spectacle, les amerlos, lorsqu’ils ne peuvent dominer le monde du fait de leurs propres trouvailles, ils n’hésitent pas à aller piquer chez les autres. Soit, ils sont venus en 44 libérer l’Europe, reste à déterminer si là seulement résidait leur motivation, mais bon c’est une réalité. Pourtant, cette intervention massive et déterminante est-elle suffisante pour leur obtenir tous les droits plus ou moins honnêtes à tous les niveaux ? Cette analyse de comportement pour traiter d’un sujet qui nous concerne au plus haut degré.
Voilà quelques années, nous autres sixcentcinquantistes avons dû lutter toutes griffes dehors et jusqu’à la dernière goutte de la transpiration dégoulinant de notre front de cycliste pour défendre notre diamètre chéri qui, sans cette bataille, aurait probablement disparu sous les attaques des pseudos modernes. Et nous en avons entendu des couillonnades : le 650 B c’était fini, maintenant il y avait le 26 pouces, à l’étranger on ne trouvait pas de pièces de rechange, comme si tous les cyclistes partaient systématiquement au fin fond de l’Afghanistan ou à l’extrême Sud des Andes chiliennes… Il fallut donc déployer des trésors d’ingéniosité pour simplement maintenir en vie le diamètre de roue qui, à nous autres cyclos d’expérience, donnait entière satisfaction.
Et puis, la roue a tourné (ce qui a priori est logique), même aux États-Unis le vélo est devenu un commerce lucratif, et comme ces pinpins d’outre-Atlantique ne font rien sans viser les plus gros porte-monnaie il fallut faire du buzz et se la jouer nouveauté avec autre chose que le vélo de course et le VTT en 26 ’’. Les commerciaux, autrement dit les « bœufs » (prononcer « beu ») du milieu, cherchèrent où trouver des débouchés. Ils secouèrent les techniciens à propos de ce 650 B qui avait au moins le mérite de ne pas être connu des jeunots. Miracle, ces derniers découvrirent par hasard qu’en effet le 584mm détenait des qualités insoupçonnées. Et voilà donc comment faire du « buzz » à moindre coût, comment reprendre la main sur un marché juteux. Problème toutefois car, foi d’amerlo, il n’est pas question d’abandonner à d’autres la paternité d’une pseudo « nouveauté » car résurgente de l’existence de la vie chez nous. De plus, impossible de ne pas reprendre notre discours d’autrefois puisque c’était l’exacte vérité ? Qu’à cela ne tienne : simple ! Il fallait le renommer. Quant à l’argumentaire, qui se souvenait du discours de ces vieux c… de Français ? C’est ainsi que naquit le « 27,5’’ » ! Et tout le monde est content. Les jeunes sont tout fiers de toucher au sommet de la technique, quant aux anciens… pas bêcheurs… ils rigolent doucement dans leur barbe. Car au final, c’est qui les couillons ?
Mais on n’a pas idée de sortir du vélo !!
On a beau être un homme mûr, formé de longue date à la dure école de la vie, il y a des fois où la couillonnade reprend le dessus. Ainsi, certains cyclos, sixcentcinquantistes de surcroît, ce qui devrait leur apporter une part de saine réflexion supplémentaire, s’imaginent que, comme ils sont expérimentés en terme de pratique cycliste et en pleine forme du côté du bouilleur* et des bielles**, ils peuvent se permettre de faire des pieds de nez à la biologie la plus élémentaire. L’un des nôtres, dont encore une fois je tairai le nom afin de lui éviter la bordée de quolibets et de « chambrages », que pourtant il mérite, s’est mêlé récemment d’un exercice qui ne lui a pas réussi. D’accord, le projet partait d’un très bon sentiment : faire plaisir à ses petits-enfants. De ce côté-là, comment le blâmer, quel papy refuserait les plaisirs joints du constat de la satisfaction de sa descendance et celui de la partager ? C’est pourquoi notre camarade s’était enquis de jouer… au basket-ball avec deux d’entre ses huit petits-enfants. Quelle que fut sa parfaite forme, à 70 balais passés, il y a longtemps que les pros et les amateurs de ce sport de balle ont passé la main. Si ses muscles dédiés au vélo, largement rodés par les kilomètres ne craignent pas grand-chose, d’autant qu’ils ne sont sollicités que de manière raisonnable, ils en restent en son corps de sportif, quand même un peu sur le retour, des qui ne sont plus tout jeunes. Et arriva ce qui devait arriver ! Pan, le claquage ! Et pas sur une jambe, hein, sur les deux en même temps. Strike ! Comme au bowling. Résultat : une semaine les jambes en l’air, comme les danseuses du « Crazy Horse ». Mais ficelées au plafond. Plus de peur que de mal, et le copain pourra tout de même assurer les rendez-vous qu’il a pris avec le cyclo-tourisme. Tout ça pour vous dire qu’il faut particulièrement prendre garde à cette kyrielle de sports qui demeurent extrêmement dangereux et mettent en péril la santé des hommes.
Le grand spectacle de l’été.
Prenez une activité relativement intimiste et réservée aux passionnés. Dans le vrai sens du mot « passion ». C’est-à-dire, selon le Larousse, état affectif intense et irraisonné qui domine quelqu’un. Pas dans le sens où il est bradé aujourd’hui dès que, par mode ou par petit plaisir du moment, un quidam s’inscrit pour un instant et en la survolant dans ladite activité. Prenez donc une pratique quelconque, démocratisez-là à outrance, pour des raisons plus ou moins nobles, et sans exception vous liquéfiez mortellement son essence. Ainsi en est-il de la bicyclette. Car si on peut se réjouir du large développement de son utilisation, sa technicité et ses valeurs en ont pris un coup. Ici, sur les berges de la Méditerranée, comme en tous lieux touristiques, la fréquentation cycliste s’est fortement épaissie. Et, comme proposé ci-dessus, le monde du vélo s’est complètement décati. Parce que s’il est vrai que chacun doit pouvoir faire du vélo comme il veut, il n’en demeure pas moins que, même si probablement de vraies nouveautés constructrices restent à apporter à la bicyclette, une expérience de près de 150 ans maintenant a défini quelques canons immuables qui ne peuvent être remis en question. Et bien si ! De nos jours, multitudes de clampins se hasardent sur des haridelles dont les spécificités techniques laissent le cyclo de longue date rêveur. Impossible de lister ici les aberrations croisées au fi des routes, parmi lesquelles le guidon triathlète sur un VAE à cadre ouvert, le vélo col de cygne chargé de 35 kg de sacoches sur la roue arrière ou le « Sand-bike*** » à roues de moto et long comme un jour sans pain. Mais subsiste un petit point positif au cœur de cette immense déliquescence, c’est qu’au croisement de ce type d’équipage, on peut se payer une bonne rigolade sous barbe.
Patrick Jean
* moteur
** les jambes du cycliste que l’on compare à ces pièces d’un moteur
*** vélo des sables, à pneus très, très larges et géométrie ridicule pour aller faire le zazou sur les plages