À la rencontre de Daniel Cattin 1997

La tradition, ça a du bon !!!

Installé à Crolles, dans l’Isère, dans une an­cienne station-service, face à l’impressionnante «dent de Crolles» que connaissent bien les parapentistes, puisqu’elle est le premier site européen de parapente, Daniel Cattin et son fils perpétuent la tradition des artisans du cycle. Une petite sur­ face de travail, une petite production et une am­biance familiale mais un produit fini qui laisse rêveur le cycliste de passage. Appuyé au comp­toir, entre deux tandems multicolores et un vélo de course d’un bleu métal particulièrement seyant…

Patrick Jean : Quel itinéraire vous a conduit à devenir constructeur de cycles ?

Daniel Cattin : Tout d’abord ma formation, puisque je suis tourneur-ajusteur-outilleur. J’ai travaillé pendant une quinzaine d’années dans la mécanique générale avant de prendre en 1981 la succession de mon père qui était constructeur de cycles de­puis 1956. 
Et puis également un goût particulier pour le vélo : j’étais président des CycloTouristes Grenoblois, ce qui m’a amené une petite clientèle et m’a permis de démarrer.

P.J. : Quelle a été l’évolution de votre produc­tion ?

D.C. : Au tout début, essentiellement des ran­donneuses 650 dans les années 83 à 87. Je m’oc­cupais à l’époque de CycloCamping International et Christophe Guitton, qui est à l’origine de CCI, m’avait envoyé toute une clientèle pour ce genre de vélo et cela a continué, en baissant peu à peu, jusqu’à 1990. J’en construit encore un peu au­ jourd’hui, mais je me suis diversifié : je fais au­jourd’hui des vélos de course et des tandems.

P.J. : Pour quelles raisons cette diversification ?

D.C. : Pour des raisons économiques d’abord, la demande en randonneuses a beaucoup baissée et puis j’aime bien fréquenter des milieux diffé­rents. C’est sympa de côtoyer des gens qui ne pensent pas forcément de la même façon. L’état d’esprit d’un tandémiste par exemple est à l’oppo­sé de celui d’un jeune coureur.

P.J. : Comment se fait votre clientèle ? Pour­ quoi vient-on chez Cattin se faire construire un vélo ?

D.C. : Parce que nous avons la chance de fa­briquer un produit qui se voit. La personne qui m’a acheté un vélo va aller dans des concentra­tions, des rallyes et ce vélo sera vu de tous les participants. Il y a un nom dessus et le bouche à oreille fait la réputation. Je ne fais pratiquement pas de publicité. J’ai une clientèle relativement peu nombreuse. Depuis septembre j’ai pris une cinquantaine de commandes, mais une clientèle de connaisseurs.

P.J. : Quelle est la quantité de randonneuses 650 que vous produisez en une année ?

D.C. : Je construis à peu près 80, 90 cadres par an, 40% de randonneuses dont 15 à 20 en 650 et quelques tandems.

P.J. : Depuis les années 85-90, la demande en randonneuses 650 a beaucoup baissé ?

D.C. : Ah oui, avant ces années-là je proposais régulièrement le 650 à tous les randonneurs. Aujourd’hui…. c’est un peu de 26 pouces, un peu de 700… parce que tous les gens d’ aujourd’hui, tous les randonneurs vont un jour ou l’autre à l’étranger.

P.J. : Tout dépend de ce que l’on appelle l’étranger, la Suisse ou l’Espagne par exemple vous semblent-ils aussi démunis ?

D.C. : En Espagne je ne sais pas trop, mais en Italie il est sûr que vous ne trouvez pas de pneus. Là-bas, il n’y a rien pour le randonneur. En Alle­magne, bien sûr, avec Schwalbe vous allez trou­ver… mais de toute façon, aujourd’hui en 700 vous disposez de très bons pneus dans toutes les dimensions, en 650 il n’y a du bon qu’en 35 ou 40 mm. En 26 pouces, vous trouvez des pneus partout mais à ma connaissance le seul bon pneu pour la randonnée c’est le Marathon.

P.J. : Certains constructeurs, et non des moin­dres, déconseillent le 650 à leurs clients. Quelle est l’origine d’une telle démarche ?

D.C. : On a peur (à noter le « on », Daniel Cattin s’intègre de lui-même dans cette catégorie) de ne pas avoir le suivi. Imaginez que je vous con­seille un vélo en 650 et que dans deux ans il soit impossible de trouvez du matériel…

P.J. : Vous pensez que c’est possible ?

D.C. : Vous savez, au niveau des pneus… ça peut arriver… ou alors on n’aura vraiment pas le choix. Il faudra vraiment bien cibler le cycliste, si la personne sait exactement ce qu’elle veut et que le Schwalbe 37 mm lui convient, pas de pro­blème, mais j’ai connu des clients qui projetaient de grandes randonnées, qui quelque temps plus tard ne sortaient plus que pour de courtes balades et qui revenaient me voir pour réclamer une monte plus légère car leur vélo était trop lourd. Difficile de leur répondre que c’est ces pneus-là ou rien.

P.J. : Croyez-vous que cela puisse arriver sou­vent que les clients qui roulent en 650 cherchent la performance ou le rendement ?

D.C. : Ils ne les cherchent peut-être pas main­tenant, mais dans deux ou trois ans… j’ai déjà connu ça. J’ai des clients qui roulent en 650 et qui à côté possèdent un vélo de course. On peut évoluer dans sa façon de faire du vélo.

P.J. : Avant la guerre, et jusqu’aux années 50, la quasi totalité des vélos étaient montés en 650. Quels arguments ont étés avancés pour que se généralise la roue de 700 au détriment du 650 ?

D.C. : C’est une norme internationale qui a poussé tous les grands fabricants à monter les vé­ los avec des roues de 700, et ceux-ci ont appelé les manufacturiers à proposer des produits en 700 mais il n’y a pas d’argument, c’est une décision arbitraire comme pour les manivelles par exem­ ple. Pratiquement tous les pédaliers sont disponi­ bles avec des manivelles en 170 mm ou 175 mm uniquement. Si je construit un vélo pour une « nana » de 1,40 m, je suis obligé de faire fabri­quer des manivelles par «tartampion» ou de les faire moi-même. Heureusement, nous avons en­ core un fabricant qui fournit des manivelles à la demande à partir de 150 mm, mais le jour où ce fabricant ne sera plus là… eh bien ce sera fini : les petits pédaleront avec des grandes manivelles. Il n’y a pas d’impératifs techniques pour faire telle ou telle chose, ce sont les grands constructeurs qui décident des normes pour des séries de vélos qu’ils ne fabriquent même plus, puisqu’ils les commandent dans le Sud-Est Asiatique, et puis il faut faire avec ces normes-là, mais ce n’est jamais un impératif technique qui impose cette norme.

P.J. : Si je vous ai bien suivi, vous êtes pessi­miste quand à l’avenir du 650 ?

D.C. : Disons qu’il y a un risque au sujet des pneus. Lorsque vous discutez avec les représen­ tants de Michelin et que vous vous plaignez de ne plus trouver de 650, ils vous répondent : « Peugeot ne fabrique plus de 204, si vous cher­chez un pare-brise pour 204 vous ne le trouvez pas… », ce n’est évidemment pas le même pro­ blème, le vélo se situe à un autre niveau qu’une voiture, mais c’est leur argument commercial. Pour les jantes, c’est un peu plus facile : les cotes et les profils existent. Il suffit de cintrer à 584 mm au lieu de 622 mm et non pas de remettre en route une production. Follis, Rando-Cycles et moi-même avons passé un accord pour comman­der ensemble des jantes chez Rigida et il n’y a pas de problèmes de ce côté-là. Mais vous savez, au-delà du 650, ce sont les randonneuses qui sont en jeu. Aucun constructeur ne présente de randonneuse à son catalogue, les Reynolds 531, les meilleurs tubes pour ce type de vélo, ne sont presque plus travaillés et il se profile même un souci nouveau en ce qui concerne les freins Cantilever (à tirage central). Depuis le retrait de Mafac, seul Shimano fournissait des freins de ce type. Mais aujourd’hui l’envahissement du marché par le système « V-brake » pour VTT menace l’approvisionnement en ancien système. Or, ce nouveau frein, pour des raisons de trop forte puis­sance, ne peut être monté qu’avec des poignées spéciales, VTT évidemment, et il est incompatible avec les cocottes traditionnelles et à plus forte rai­son avec « l’Ergopower ».

P.J. : La Confrérie des 650 a été créée pour regrouper les utilisateurs de ce diamètre et pour défendre leur matériel, quelle est votre opinion quant aux qualités du 650 ?

D.C. : D’un point de vue personnel, je suis tout à fait d’accord pour affirmer les qualités de robustesse, confort, tenue de route du 650. J’en ai d’ailleurs construit beaucoup et j’ai moi-même toujours roulé sur ce diamètre, avec le pneu TS 32 de Michelin pour la route et des pneus de section légèrement plus grosse pour les muletiers. Vous savez, c’est le mérite de votre association que de défendre le 650 car nous sommes tous concernés par la raréfaction du matériel. J’ai 150 clients qui roulent en 650 et ça m’embêterais de leur dire qu’il leur faut changer de vélo. Les petits constructeurs comme nous, même réunis, n’ont aucun poids face aux grands fabricants. Nous réclamons, comme vous, la continuité de ce type de matériel mais ce n’est pas notre pro­duction qui poussera ces fabricants à relancer le 650. Si Peugeot ou MBK mettaient à leur catalo­gue un vélo en 650, il est sûr que cela relancerait le marché.

P.J. : Si je veux me faire construire un cadre 650 en Reynolds 531 par Daniel Cattin, il me coûtera combien ?

D.C. : J’ai deux possibilités, le modèle « Pres­tige » avec tous les raccords microfusion et sou­ dures à l’argent, très bien fini, qui fait 4 200 francs, et le modèle « Luxe » avec des rac­cords en tôle pressée soudée au laiton avec une chauffe un peu supérieure, puisqu’avec le laiton il faut chauffer un peu plus, toutes les attaches sont quand même brasées à l’argent, c’est une qualité déjà correcte mais un peu moins soignée qui fait 3 300 francs.

Pour compléter ce compte-rendu de rencontre avec Daniel Cattin, il faut signaler, outre la très belle production de cadres, la fabrication par la maison de pièces spécifiques : jeux de direction à aiguilles, magnifiquement usinés et « indesserrables » grâce à un joint caoutchouc bloqué sur le pas de vis (idem écrou nilstop), tige de selle à expandeur, boîte de pédalier à entrée de tube oblique ovalisé dans le but d’augmenter la lon­gueur de soudure et donc la solidité etc… Et puis, nous sommes ici chez un véritable passionné de vélo, qui offre encore, avec quelques-uns de ses confrères, un véritable service personnalisé, quali­fié, et un contact des plus chaleureux. Aucune grande surface du sport, au nom ronflant et à l’énorme chiffre d’affaires, pourtant si menaçante pour les artisans du cycle, ne pourra jamais rivali­ er avec eux sur ce terrain-là.

Propos recueillis le 5/03/97 par PatrickJEAN (adhérent n° 414), paru dans le numéro 5 de la revue Le Six Cent Cinquante

NDLR (de l’époque NDLR actuelle)La randonneuse 650 reste la machine la plus universelle pour toutes les facettes de la pratique du cyclotourisme, à choisir donc de pré­férence si on ne peut avoir qu’une seule bicy­clette. Mais, dans la mesure où certains cyclos ont les moyens de posséder plusieurs machines, qu’ils utilisent selon leurs besoins et les circons­tances, ils ne peuvent que se réjouir des qualités spécifiques du 650, même au prix d’une « lour­deur » toute relative.
Pour les pneus, en dehors des divers Schwalbe et des Hutchinson, il y a toujours le Michelin TS 32, léger et d’excellent rendement, qui sera main­tenu, comme les autres, tant qu’il y aura de la demande.
De fait, le problème de la disponibilité du ma­tériel pour l’avenir se pose plus largement pour tout ce qui a trait aux randonneuses classiques, quelle que soit la section choisie : ce n’est pas pour autant heureusement que nos artisans les dé­conseillent à leurs clients au profit du VTT ou du vélo de course.
Rester mobilisés pour favoriser le développe­ment du 650, en faisant construire le plus possi­ble de vélos et tandems de ce type, est la meilleure façon d’assurer la pérennité de ce maté­riel très fonctionnel. Mais encore faut-il que nos artisans « irremplaçables à ce niveau » nous sui­vent dans cette voie.